27 mars 2020
Chez Soi est le deuxième livre de la talentueuse autrice Mona Chollet que je lis. Après avoir lu Sorcières son livre le plus connu que j’offre souvent, voici une ode aux casaniers et surtout une bible à lire absolument en cette période de confinement.
Ce n’est pas pour rien que la super maison d’édition du livre Zones Editions le propose en libre accès actuellement en pdf.
J’ai pris un réel plaisir à me plonger dedans, comme toujours les livres de Mona Chollet sont terriblement bien documentés et Chez soi ne déroge pas à la règle.
Voici quelques extraits de Chez Soi qui m’ont marqués :
« Le sage n’a que faire de sortir de chez lui et de voyager ; c’est le sot qui cherche la marmite d’or au pied de l’arc-en-ciel, écrit Henry Miller. Mais l’un et l’autre sont inexorablement prédestinés à se rencontrer et à s’unir. Leur point de rencontre, c’est le cœur du monde, où commence et finit le Chemin. »
Sa préférence pour les réseaux sociaux à la télévision
« Non seulement, en effet, la télévision pollue et stérilise la vie domestique, non seulement elle condamne à la passivité, mais elle laisse seul face à la violence du monde.
Dans le climat politique actuel, je préfère que les propos ou les événements déprimants me parviennent indirectement, sur un réseau social, par le biais de quelqu’un qui partagera ma consternation, plutôt que de les prendre en plein visage en regardant le journal télévisé. Bien sûr, il se trouvera toujours des intellectuels pour déplorer, comme le sociologue Dominique Wolton, que sur Internet chacun se réfugie auprès de ceux qui pensent comme lui et pour prétendre que les médias de masse sont irremplaçables, car eux seuls auraient la capacité de rassembler.
Mais je ne vois pas, pour ma part, en quoi le point de vue sur l’actualité de David Pujadas serait plus pertinent ou moins discutable que celui de quelqu’un que je suis sur Twitter, ni pourquoi je devrais me l’infliger. »
Les chats exemple de bons casaniers
Les chats ont cette habitude caractéristique : lorsqu’ils ont repéré un emplacement qui leur paraît confortable, qu’il s’agisse d’une parcelle de duvet, du coussin d’un fauteuil ou de vos genoux, avant de s’y installer, ils le pétrissent de leurs griffes à n’en plus finir, en ronronnant à plein régime, comme si l’anticipation du plaisir était déjà un plaisir. Ce moment où ils s’y laisseront tomber d’un petit déhanchement, se coulant dans le creux moelleux qu’ils auront amené à la température idéale, ils le retardent à l’infini, conscients d’avoir la vie devant eux. Le temps qu’ils mettent à le préparer n’a d’égal que le temps où ils y resteront lovés, formant un cercle parfait, le museau enfoui dans les pattes, astres tournoyants, comme s’ils étaient sortis du temps et entrés dans une dimension qui leur permettait de n’être définitivement plus concernés par l’écoulement linéaire des minutes et des heures.
Il faudrait pouvoir s’offrir de longues périodes où l’on ferait comme eux. Il faudrait pouvoir émerger en douceur d’une nuit de sommeil qui vous déposerait sur la grève du jour comme le ressac d’une mer calme, au lieu de subir l’élancement au cœur, la déchirure du rêve que provoque la stridence du réveil.
Il faudrait pouvoir rester encore un peu allongé, bien au chaud, à écouter les bruits les plus ténus dans la maison et au-dehors, à rêvasser, à contempler le plafond et à passer en revue les mille bonnes raisons de se lever, à réfléchir à ce que l’on projette de faire, à se pourlécher en composant le menu du petit déjeuner – pour moi, un thé vert à la fraise, un chocolat chaud et un croissant à tremper dedans, de la guimauve à la framboise ou à la banane, des amandes grillées, un jus d’oranges pressées et un yaourt au lait de brebis avec une cuillère à soupe de miel ; et pour vous ?
Alors l’élan nécessaire pour repousser la couette d’une ruade, pour renouer avec la verticalité et poser le pied par terre, répondrait à une nécessité intérieure irrésistible, le cœur battant d’impatience, plutôt qu’à ce sursaut de courage et de résignation mêlés par lequel on se boute soi-même hors du lit.
Il faudrait pouvoir mettre de la musique, allumer quelques bougies et déjeuner tranquillement, en conversant si l’on n’est pas seul, en contemplant les jeux de la lumière sur les murs et le décor de la pièce, ou l’atmosphère gorgée d’ombre des jours gris et pluvieux, que trouerait l’éclairage des lampes.
Puis viendrait le moment d’entrer pleinement dans la journée : faire sa toilette, aérer la chambre, ouvrir le lit, le battre et le refaire avec soin, jusqu’à ce que sa surface généreuse et sereine évoque celle de la mer que l’on admire en plissant les yeux, jusqu’à ce que son aspect ordonné, à nouveau intact, dissipe les dernières brumes de la nuit écoulée, tout en vous parlant déjà des voluptés de celle à venir. Ensuite, on pourrait vaquer à ses occupations, quelles qu’elles soient. De temps à autre, une tâche ménagère fournirait l’occasion d’une pause, d’une remise en mouvement.
En étendant une lessive, en lavant une tasse, tel un plongeur remontant brièvement à la surface pour embrasser le panorama du regard entre deux explorations sous-marines, on prendrait du recul et on verrait se dénouer, sans même y penser, les difficultés du travail sur lesquelles on s’acharnait en vain.
Le capitalisme vs l’humanité
L’obsession de la rentabilité, le repli sur soi, l’acrimonie dominent les relations sociales. On entend parler d’économies, de coupes budgétaires. En raison du manque de personnel, Beppo, le vieil ami balayeur de Momo, se retrouve en service de nuit. Quant aux enfants, fini les jeux : on les enferme dans des « dépôts pour enfants » où on leur apprend des choses « utiles pour l’avenir ». Les adultes ont bonne conscience à l’idée qu’ils s’occupent enfin d’eux. Parallèlement, la consommation augmente. Fait significatif, les réunions secrètes des hommes en gris se tiennent la nuit dans des décharges publiques.
Alimenter le système, si absurde soit-il, procure une image de soi valorisante (quoi de plus glorieux que de n’avoir « pas une minute à soi » ?) et dispense de toute réflexion sur ce qu’on souhaiterait faire de sa vie.
« Le grand défi, c’est que chacun doit réapprendre à vivre. »
Bien sûr impossible de parler de chez soi sans parler du rôle de la femme à la maison dans notre société
Je manquais gravement à mon devoir d’incarner la Femme : un minimum de conversation, bien sûr, mais surtout, douce, maternelle, trônant au royaume du sensuel et n’en franchissant les frontières qu’avec modération.
Mon intellectualité, qui aurait été admise et même valorisée chez un homme, apparaissait comme une tare.
Quand j’ai lu ce jugement porté par le critique Jacques Siclier sur le premier film d’Agnès Varda, La Pointe courte, en 1955, il s’est gravé dans ma mémoire en lettres de feu : « Tant de cérébralité chez une jeune femme a quelque chose d’affligeant. »
On me dira que j’exagère, que de nos jours des milliers de femmes exercent des métiers intellectuels et que tout le monde l’accepte comme un fait banal. Honnêtement, j’en doute. Un jour, alors que je présentais l’un de mes livres dans une Fnac, un type d’une soixantaine d’années était venu s’asseoir pour écouter en me dévisageant, sourcils froncés. À la fin, prenant la parole, il avait maugréé que si les bonnes femmes se mêlaient de nous expliquer la vie, maintenant… J’en étais restée coite – de toute façon, que voulez-vous répondre à quelqu’un qui refuse le simple fait que vous ouvriez la bouche ? « Il y a une tradition dans la phobie masculine de la femme de lettres, observait Chantal Thomas en 1998. Entre le ricanement supérieur, la fausse pitié ou la franche hostilité, la femme qui écrit n’attire pas la sympathie des hommes. »
Avis Chez Soi
Truffés de citations, de références, ce livre est formidable. La dernière partie « 7. DES PALAIS PLEIN LA TÊTE. » est très orientée architecture avec des références plus techniques. Mais si je ne devais recommander qu’un seul livre pendant ce confinement c’est bien celui là.